Cela fait déjà
quelques jours que je me demande ce que, si je n'avais qu'un sujet à développer
avant qu'on ne me coupe la tête, je choisirais de dire. C'est très délicat. On
m'a souvent reproché de blablater, de tourner autour du pot. Certes, mais c'est
pour mieux savoir autour de quel pot je tourne. Autour de quoi tournons nous?
Certains semblent se dévouer à la science, peut être faute d'avoir autre chose
à quoi offrir leur corps. D'autres vouent un culte à la dive bouteille. Et je note
au passage l'existence de ce sympathique adjectif, qui n'a d'autre usage que de
qualifier le réceptacle de bien des dévotions. Et, bien entendu, certains
tournent, non autour d'un hypothétique pot, mais autour de ceux qui ont eu à la
grande loterie génétique le tirage opposé du leur. Comme il est triste pour moi
d'imaginer que certains ne gravitent autour de rien, qu'ils ne sont donc
attirés par rien et passent leur vie dans un brouillard gris et ascétique, je
partirai donc de l'a priori rassurant que nous avons tous une passion qui nous
dévore. Pour ne pas dire un feu divin qui nous anime. Qui nous donne une âme.
Et une raison pour bouger.
Quelle est donc ma raison?
La bouteille? Sûrement pas. Cette raison que je cherche est
le noeud de ma vie, et ne saurait être interchangeable à plaisir. Puisque
qu'importe le flacon, et que souvent femme varie -ou que souvent de femme on
varie- la raison doit être ailleurs. Et je ne parle pas de la raison de ma
présence sur terre, ou autre sujet totalement abscons&sujet à caution. Je
parle de ma raison de continuer. Continuer sur terre, continuer à faire partie
d'un monde et d'une société structurellement inadaptés à l'individu. L'animal
humain, pour survivre, s'est créé une jungle bien plus sale (car artificielle,
et donc artificieuse, aux règles mouvantes et bien plus complexes que manger ou
être mangé) que le trou plein de boue entre les herbes hautes duquel il s'est
sorti. Pour survivre il a inventé un tissu de liens, de dépendances, une
hiérarchie, des codes, qui le dépassent et qu'il doit dépasser. Pour cela il
faut une force motrice, un but, un projet, une oeuvre, qui nous dépasse pour
nous permettre de nous dépasser. Et de continuer. Continuer à vivre, à faire
partie de ce monde, à le former et le faire notre, puisque c'est le seul choix
que je me laisse, je ne supporte pas la fuite.
Continuer pour quoi, donc, si ce n'est pour l'ivresse,
qu'elle soit causée par un verre ou une femme? La recherche du bonheur? Dieu?
Je ne me mêle pas de ces choses-là, mais il m'est avis que si je m'y mettais,
je passerai ma vie à chercher, et donc je ne trouverai pas. Me semblent
inaccessibles par nature, ces deux concepts là. De bons palliatifs, se dire
"t'inquiète, j'y travaille", mais franchement je n'y crois pas trop.
Quand je me sens perdu, je me raccroche à des choses beaucoup plus concrètes en
fait que Dieu ou le Bonheur. Je me raccroche à un regard. A des regards. Le
regard de cette fille afghane, pendant la précédente guerre d'Afghanistan,
photographié par le National Geographic, de beaux yeux au fond desquels je
vois.. la vie, malgré tout. Le regard de cette femme que j'ai croisée pendant
mes oraux dans le métro entre Invalides et Balard, une femme qui pleurait seule
dans la rame, entourée de regards baissés, à qui j'ai souri et qui m'a dit
merci avec une gratitude qui m'a foutu un bourdon monstre pendant un mois. Le
regard de cette Natascha qui a vécu toute la folie humaine, et qui ne contient
pas le moindre ressentiment. Juste l'envie de continuer. Et cette envie de
continuer je ne sais pas plus d'où elle vient que je ne sais d'où je viens. Je
l'accepte comme elle est, comme j'accepte de faire partie de ce monde. Je ne
sais pas à quel saint me vouer, mais j'ai mes madones. Elles et d'autres. Elles
et toi.
Ce n'est pas une recette, ni un prêche, plus une confession.
Une envie de vous faire chercher le sens derrière tout ça. Non pas le sens de
la vie, le sens de votre vie. Pourquoi continuer en fait? Pour quoi? Se jeter
dans les sciences et chercher des réponses aux questions, des réponses certes
censées, mais qui partent du postulat que la question l'est, est une solution.
Se jeter dans la recherche des paradis terrestres ou non, avec ou pas l'aide de
substances diverses est une solution tout aussi valable. Se jeter dans le gens
et se dire qu'on continue pour eux, même s'ils s'en foutent et ne me
connaissent même pas est ma solution. Ne pas se poser la question n'est pas une
solution. Ne le sera jamais. Je cherche une conclusion. Et ne pense pas la
trouver.
Rd*